HISTORIQUE DE LA
LINGERIECe n'est
qu'à la fin du siècle dernier que le terme "dessous" se substitue à
l'expression moins romantique de "linge de corps", plus proche de la culture du
trousseau que de celle de l'érotisme. Aujourd'hui, la lingerie joue un double rôle:
fonctionnel et séducteur
Que portait-on sous
les drapés crétois du IIe millénaire avant Jésus-Christ? L'ancêtre de la
guêpière chère à Marcel Rochas! Un corset soutenant les seins à la base pour les
dévoiler dans leur quasi-nudité. Statuette de terre cuite polychrome représentant une
femme très maquillée aux seins épanouis, la Déesse aux Serpents accrédite cette
thèse confirmée par Jacques Laurent dans son Histoire imprévue des Dessous féminins
où il évoque une femme crétoise "aiguisée par ses dessous enflammés, par la
bigarrure de ses volants... montrant une volonté violentede séduire". Une
centaine d'années plus tard, les femmes adoptent l'apodesme, bandelette d'étoffe
qu'elles enroulent sous leur poitrine. Il n'est plus question de montrer les seins,
mais de les soutenir.
Obsédés par
l'harmonie, les Grecs s'opposent à l'idée du sein tombant, comme les Romains dont
les fascia emprisonnent les seins essentiellement pour freiner leur croissance, cédant la
place, si nécessaire, au mamillare, soutien-gorge de cuir mou chargé d'écraser la
poitrine des matrones. La chute de l'Empire romain et les grandes invasions celtes et
germaniques signent la liberté du buste.
Mais au XIIe
siècle, avec la mode des vêtements moulants, finie la liberté: taillé près
du corps, lacé, le corsage enserre le buste comme une cuirasse. Les vêtements
étranglent à nouveau une poitrine que le puritanisme moyenâgeux préférerait effacer.
Trois siècles
plus tard, nouveau bouleversement: montrer la naissance des seins est chose permise,
sinon souhaitée. Dans le duché de Bourgogne, les femmes arborent une ceinture sous la
poitrine pour remonter le corsage. Même si certains prédicateurs et le clergé s'en
offusquent, les seins sont dressés, mis en évidence. Immortalisée par Jean Fouquet,
Agnès Sorel (favorite de Charles VII) lance même la mode du sein dévoilé. Un
seul, suggestif.
L'attitude redevient
vertueuse sous Charles Quint puis Henri II. Les femmes sont captives de robes sombres
fermées jusque sous le menton et se voient forcées de renfiler un corset qui n'a
vraiment rien d'un accessoire érotique. Un siècle plus tard, le cardinal Mazarin ira
jusqu'à rendre, en 1654 et 1656, deux édits contre les passementeries et les éléments
de la toilette féminine. L'abbé Jacques Boileau, frère de Nicolas, publie De l'Abus des
Nudités de Gorge, charge violente contre les femmes décolletées. L'intolérance menace.
La réaction viendra d'abord de la Régence. Finies les polémiques autour de la
gorge. Les discours libertins les remplacent, et si le corset reste d'actualité, des
baleines plus souples et plus nombreuses contribuent à le rendre moins contraignant, les
décolletés refleurissent.
Bien avant la
Révolution de 1789, déjà, Jean-Jacques Rousseau, adepte du retour à la nature,
s'opposera à ce que les plus virulents présentent comme un "pressoir à
corps", réservé à une élite. Il a même pris part à la bataille anticorset
déclenchée, dès 1750, par le corps médical puis par un certain Bonnaud dont le
pamphlet La Dégradation de l'Espèce humaine par l'Usage du Corps à Baleines s'en prend
à ces échafaudages susceptibles de nuire à la santé. A la campagne, les femmes de
condition modeste y ont depuis longtemps renoncé, leur préférant le corselet lacé, pas
trop serré, qu'elles enfilent sur leur jupe et leur chemise afin qu'il n'entrave pas
leurs activités.
Quand apparaît le
mot dessous, la fin du XIXe siècle est proche. Le terme se substitue à celui,
bien moins romantique, de linge de corps. Dentelle, broderie, effets de tissage
contribuent à son ornementation. L'adoption du pantalon, fendu pour les dames, fermé
pour les demoiselles, mais surtout garni de rubans, de volants, de faveurs, de trou-trous,
va faire tache d'huile. Ce "trou avec de la dentelle autour", ainsi que certains
le définissent avec grivoiserie en 1902, va se compléter d'autres pièces coquines qui
vont faire le bonheur des dames... et de ceux qui les regardent. Mais le corset, dont on
dit qu'il modèle les femmes sur le modèle du sablier, entonne son chant du cygne. Jugé
trop contraignant, il s'accommode mal des velléités libertaires de la garçonne des
Années folles. Quelques couturiers, tels Paul Poiret, Madeleine Vionnet, le bannissent.
Parallèlement, le mode de vie change.
Vers 1910, la
pratique du vélo pousse les femmes à choisir des corsets plus souples qui n'entravent
pas le mouvement. Quand la Première Guerre mondiale arrive, les jeux sont faits:
tandis que les hommes se battent, les travaux champêtres sont dévolus à leurs
compagnes, les commerçantes se mettent au volant, les usines se remplissent d'un
personnel féminin qui souhaite se simplifier l'existence. Privées de leur femme de
chambre, les bourgeoises troquent leur corset contre une gaine, plus souple, donc plus
facile à enfiler, où les baleines sont remplacées par des ressorts caoutchoutés. Le
corset ne s'en remettra pas, définitivement sacrifié sur l'autel de la commodité
L'avènement du
soutien-gorge C'est une jeune Américaine, Mary Phelps Jacob, dite Caresse Crosby, qui
eut l'idée, en 1913, de fabriquer un soutien-gorge à l'aide de mouchoirs et d'épingles
de sûreté. Déposant un brevet l'année suivante, elle tente de le commercialiser. En
vain. Elle décide de céder le brevet à l'entreprise Warner's qui met au point, en 1931,
un tissu chaîne et trame, élastique dans les deux sens, qui servira à la confection des
premiers modèles. C'est Warner's encore qui crée les bonnets à profondeur variable, de
A à E, les bretelles élastiques et même le bonnet moulé sans couture des années 70.
Fruit de recherches qui auront duré près de dix ans, le nylon cher à Du Pont de Nemours
va, lui aussi, bouleverser le monde de la lingerie grâce à des atouts uniques: brillant,
solide, séchant vite et ne se repassant pas, il ne sera détrôné par aucun autre
textile. Un coup d'il sur les étiquettes le confirme: il est plus que jamais
présent, jugé indispensable lorsqu'il s'agit de conférer aux fibres naturelles les
qualités qu'elles n'ont pas. Mais c'est incontestablement le lycra qui mérite la
qualification de trouvaille du siècle. Appartenant à la famille des fibres synthétiques
élasthannes (spandex aux Etats-Unis), ce fil, qui se décline dans une vaste gamme de
titrages, agit comme un véritable ressort, capable de reprendre sa forme initiale, sans
déformation, après avoir été étiré jusqu'à sept fois sa longueur. Il a d'autres
avantages dont celui d'améliorer le maintien des tissés, d'augmenter la résistance des
mélanges auxquels il participe, de rendre leur entretien très aisé, de jouer les
accélérateurs de séchage, bref, d'apporter à des matières naturelles comme la soie ou
la dentelle un maximum de confort et de tonus. Le lycra n'est évidemment jamais utilisé
seul. Il serait donc plus juste, précise-t-on chez Du Pont, de parler d'un vêtement avec
lycra, ce qui éviterait la confusion lycra=synthétique.
D'autant plus injustifiée que, combiné au coton ou à la soie, il conserve toujours les
qualités de la fibre majoritaire. Autre précision: il peut être transparent, mat ou
blanc, et comme il ne prend pas la couleur, il doit toujours être recouvert d'un fil de
nylon qui le protège tout en permettant sa teinture.
Nouvelle technologie ;sexy
ou épuré, mais invisible!
Comme le souligne Christian
Martignier, expert en lingerie,( parmi les marques quil représente on trouve Nina
Ricci, la très belle Millesia, Rien, Princesse Tam-Tam), les femmes ont tendance à se
partager en deux camps: celles qui aiment la dentelle, les broderies, privilégiant le
côté sexy de l'ensemble, et celles qui ne jurent que par l'épuré, sans fioritures,
tout en discrétion sous le vêtement moulant. Toutes partagent cependant une priorité:
que la lingerie ne se repère pas sous le vêtement. L'obsession de la fin des années
90 , c'est la discrétion. Plus question de repérer, sous la jupe ou le pantalon, la
trace d'un slip ou de deviner, sous un pull, le relief d'un soutien-gorge. Les recherches
vont donc dans ce sens, le lycra apportant son élasticité, le montage garantissant
d'autant mieux le caractère ultraplat des coutures ou des bordures que le matériel
utilisé est sophistiqué et donc qu'il s'agit de pièces haut de gamme. Quant au string,
il triomphe, pour les mêmes raisons. D'autant moins repérable qu'il colle à la fesse et
donc n'est pas choisi trop... petit. Dans la même optique, le sans couture illustre une
nouvelle génération qualifiée de technologique tant ses exigences sont
élevées sur le plan technique.
Manifestation incontournable de la lingerie et du balnéaire, Lyon Mode City a, dès
l'automne dernier, donné le ton de la mode printemps-été. Trois grands axes
coloristiques: couleurs douces et harmonieuses des pastels poudrés; palette pimpante à
base de jaune orangé et de pourpre; tons sombres et denses lorsque le style se veut plus
ornemental. Côté formes, le sophistiqué (aux corbeilles structurées, pigeonnant) aux
riches finitions rivalise avec des formes triangle ou brassière inspirées du sportswear.
Tandis que la lingerie dite sportive joue les variations de couleurs, les applications,
avec quelques détails précieux. Et que la lingerie qualifiée de cosmétique
parce qu'elle valorise la peau, efface, estompe, valorise continue sur sa lancée.
On ne change pas une formule qui gagne!
Pour en savoir plus, quelques ouvrages
passionnants:
"Les Dessous de la
Féminité, un Siècle de Lingerie" par Farid Chenoune, Editions Assouline. Une
merveille tant sur le plan du récit que sur celui de l'iconographie.
"Corsets et Soutiens-Gorge,
l'épopée du sein de l'Antiquité à nos jours" Béatrice Fontanel, Editions de
la Martinière. Passionnant!
"Les Grands Moments de la
Mode" dont un chapitre est consacré à la naissance du soutien-gorge, Editions
Soline.
"Ces Sublimes Objets du
Désir" par Régine Deforges,
Editions Stock. Chapitre
décolletés, déshabillés et retroussés.
"Dictionnaire de la Mode au XXe
Siècle" collectif sous la direction de Bruno Remauray, Editions du Regard.
Rubrique sous-vêtement.
"Histoire technique et morale du
Vêtement" Maguelonne Toussaint-Samat, Editions Bordas Cultures.
"Trouvez votre style"
Chantal Thomass, Flammarion.
Plus d'informations sur le slip et le soutien gorge