LES EVOLUTIONS DE LA MODE

 PERIODES DE 1960 à 1980

 LES ANNEES 1960-1970

Les bouleversements démographiques d'après-guerre et les évolutions sociales et politiques des années 60 ont joué un rôle moteur dans l'évolution du vêtement durant cette décennie. Les années 60 sont une merveilleuse illustration d'une prise de conscience de la proximité entre une société et son habillement. Jamais les changements de comportements sociaux n'ont autant influencé les comportements vestimentaires et par conséquent l'organisation de la production et de la distribution dans le secteur textile-habillement.
Les enfants dits du "baby boom" ont entre 15 et 25 ans dans les années 60. Leur nombre important en fait une nouvelle catégorie de population : "les jeunes". Ce nouveau groupe, pour exister et se forger une identité, va alors chercher à se distinguer de ses aînées par de nouveaux comportements, de nouvelles façons de vivre. L'habillement en est le principal reflet. Alors que les vêtements s'adressent essentiellement aux enfants ou aux adultes, il n'en existe pas spécifiquement pour cette classe d'âge intermédiaire. Or les "jeunes" ont des besoins spécifiques, leur pouvoir d'achat est important, comparé à celui de leurs parents au même âge. Pour ces jeunes, la mode doit être signe de renouvellement et signe identitaire.

On assiste alors au développement en France de l'équivalent du "ready-to-wear" américain, le prêt-à-porter. La mode se démocratise, les vêtements sont produits en série et sont proposés à moindre coût, permettant un renouvellement régulier et diversifié des tenues.
 
A partir de 1960 et grâce à l'apparition des "bureaux de styles" comme Promostyl ou Mafia, de nouveaux professionnels de la création vestimentaire, les stylistes, vont offrir un large choix de produits différenciés, faisant découvrir de nouvelles lignes, matières, couleurs... et de nouveaux usages du vêtements dans un élan un peu fou où tout, ou presque, est permis.
Christiane Bailly, Emmanuelle Khanh, Elie Jacobson, Cacharel ... vont proposer des modèles confortables, à porter facilement en ville. Alors que la confection s'inspirait de la haute couture, le prêt-à-porter développe sa création propre, diversifiant les styles.

Par ailleurs, Courrèges, Paco Rabanne et Pierre Cardin proposent de nouvelles modes. Les lignes deviennent trapèze, les jupes courtes, voire mini, le pantalon de ville féminin n'est plus une hérésie après la présentation de la collection Yves Saint Laurent en 1966 . De nouvelles matières apparaissent comme le métal pour des robes en cote de maille chez Paco Rabanne en 1966. Les motifs sont géométriques, les textiles plus lourds pour favoriser l'aspect structuré du vêtement, et les couleurs deviennent vives. Ces bouleversements ont imposé des changements radicaux dans la réalisation des modèles. De nouvelles matières apparaissent, les technologies se perfectionnent. La vague du blanc pur de la "Moon Girl", par exemple, lancée par Courrèges en 1966 impose aux industriels de trouver un nouveau procédé de teinture.
Cette expansion n'aurait pu s'effectuer si, parallèlement, il n'y avait pas eu un relais médiatique, permettant de diffuser toutes ces innovation au grand public. Les magazines tels Elle et Jardins des Modes se placent à la pointe de ce qui se fait en matière de mode et soutiennent les nouveaux stylistes en présentant leurs modèles. L'émission télévisée mythique Dim Dam Dom apparaît en 1965 et touche un public de plus en plus large, rassemblant les femmes de tous âges le dimanche devant les nouveaux écrans de télévision. Ainsi, les médias de mode se développent et favorisent les principes d'identification en faisant appel à des personnalités du moment. Les années 60, c'est aussi le développement du vedettariat, les débuts des prescripteurs de mode dans les magazines.

L'évolution se généralise à d'autres segments de la société: les femmes adultes vont s'emparer de certains éléments de cette "mode réservée aux jeunes", ne supportant pas l'idée d'être reléguées à l'état de "vieilles". La diffusion de plus en plus massive et banalisée du pantalon pour femme modifie alors le costume masculin qui tente de trouver une nouvelle spécificité. Pierre Cardin propose des ensembles composés d'un pantalon ajusté associé à une veste à col montant, rendant impossible le port d'une cravate. Le blouson et le jean, apanages des loubards ou des ouvriers, s'exportent vers toutes les classes sociales et sont portés indifféremment par les hommes et les femmes. Si la mode est un signe de groupe, elle a vocation à transcender les anciens clivages : les distinctions entre classes sociales et entre hommes et femmes sont mises au rancart par une jeunesse qui impose un autre mode de distinction : l'âge.
Ainsi, dans le dernier tiers des années 60, le vêtement devient un vecteur de prise de position sociales et son évolution illustre les modifications profondes d'une société tirée par une jeunesse avide de changements. Les tabous s'effondrent, laissant place à de nouveaux mode de vie en parfaite cohérence avec les nouveaux vêtements: jambes dénudées, transparence des chemisiers, port du pantalon pour les femmes.... Si, à la fin des années 60, ce mouvement est encore restreint à certains groupes, il se banalisera dans les années 70...
Les années 60 sont donc les années du bouleversement. La mode jeune
trouve une génération de stylistes prêts à fournir des produits adaptés aux nouveaux besoins, et innovants dans leur conception. C'est la naissance des styles. Relayé par une presse féminine en expansion et une nouvelle structure de production, le nouveau phénomène de mode se diffuse à d'autres classes d'âges et les distinctions sociales via l'habillement sont bannies.

LES ANNEES 1970-1980

La révolution était en marche à la fin des années 60, ouvrant les possibilités de mutation des années 70. Les femmes, les modes, les contestations, les crises monétaires et pétrolières, les chocs politiques des années 70 transforment les conceptions du monde. De l'informatique aux valeurs esthétiques, tous les domaines connaissent alors des évolutions multiples. La mode, ne pouvant par définition échapper à l'emprise de son temps, révèle ces transformations majeures tant par de nouvelles organisations institutionnelles et commerciales que par l'explosion stylistique provoquée par la naissance des "créateurs".

 I - DE NOUVEAUX TALENTS DE MODE : LES CREATEURS

Si le développement du prêt-à-porter de style dans les années 60 a permis l'apparition des stylistes, les années 70 ont vu l'éclosion des "créateurs" qui peuvent enfin signer leur création et les vendre sous leur griffe. Sous l'impulsion de Didier Grumbach, la structure "Créateurs et Industriels" aide ces nouveaux talents dans la fabrication en série de leurs modèles : Issey Miyake, Jean-Charles de Castelbajac lance une collection en toile de jute et serpillière ou des tissus couverture. Avec eux, Michel Klein, Christiane Bailly, Adeline André, Emmanuelle Khanh forment ainsi la première génération de créateurs.

Par ailleurs, en 1970, Kenzo présente pour la première fois une nouvelle mode avec ses coupes plates et ses fleurs colorées. En 1974, Anne-Marie Beretta lance la robe-sarrau en flanelle de santé. En 1975 Agnès b. ouvre ses portes et propose des vêtements de style déjà porté, Chantal Thomass crée les premières blouses transparentes, de réminiscences victoriennes, et Sonia Rykiel conçoit une mode qu'elle imaginait pour elle-même avec ses tricots bord à bord cousus l'envers sur l'endroit...

Claude Montana avec ses cuirs et paddings, Thierry Mugler en 1977 et Jean Paul Gaultier en 1979 formeront la seconde génération de créateurs et participeront à placer les années 80 sous le signe des fastes de la mode en organisant des défilés spectacles.

Vers la fin des années 70, certains créateurs comme Popy Moreni et Elisabeth de Sennevile offriront une mode acidulée, mêlant créativité et technologie avec, par exemple, des couleurs électriques pour
des sandales en plastique ou des plastiques fluos graphiques.

Par ailleurs cette explosion de créateurs a engendré une multitude de styles très différents. Ce mouvement a eu un écho important à une époque où la mode n'est plus à suivre mais doit s'inventer en fonction de chaque individu.

 

II - L'EXPLOSION DES STYLES PERSONNELS

Les années 1970-80 voient l'explosion des styles personnels et valorisent l'innovation individuelle dans tous les domaines dont l'habillement. Il s'agit d'une époque d'incertitude, où tout devient permis et pendant laquelle les expériences se multiplient. La mode, ludique ou engagée en forme de protestation, ouvre de nombreux champs d'investigations.

 UNE MODE LUDIQUE

Après la naissance des styles et avec le développement de la grande distribution, chacun peut composer ses propres mélanges: la mode est à la personnalisation du style. On voit apparaître l'accessoirisation à outrance, alors perçue comme jeu personnel, de pièces vestimentaires basiques.

Les diktats sur la longueur des jupes et robes n'ont plus de raison d'être : on passe sans difficulté du maxi au mini, puisque c'est la femme qui choisit et non plus la mode.

La jeunesse qui avait participé au grand
déploiement du prêt-à-porter dans les années 60, va refuser en bloc les produits fabriqués en grande série. Souhaitant innover tout en se démarquant de ses aînés, elle va se diriger davantage vers des produits détournés ou acquis de seconde main au marché aux puces ou ramenés de voyage à l'étranger. Ces jeunes qui avaient porté les vêtements du futur dans les années 60 vont se retourner vers le passé et les provinces dans les années 70.

Des circuits parallèles de vente de produits exotiques s'organisent et fournissent à cette jeunesse des moyens de se vêtir de manière personnelle et distincte. Sa mode favorisera les savants mélanges de cultures. Les greniers des grand-mères, les surplus de l'armée américaine génèrent la "fringue", vêtement résidu ou détourné. C'est la vague du kaki, de la saharienne.
Ces mélanges hétéroclites lanceront
le "kitsch". La tendance rétro est alors à son comble.Daniel Hechter valorise l'innovation personnelle en proposant les jeux qui se rapportent aux nouveaux coordonnées

UNE MODE ENGAGEE

En signe de protestation, on réutilise les vêtements militaires qui sont alors détournés... Par solidarité avec les ouvriers, on réutilise les vêtements de travail. C'est le port de la salopette et de la veste de travail qui sera le plus développé. Pour réagir contre le stress et la pollution, c'est le
développement des survêtements et du sportswear. Le jean devient universel et se décline sous toutes ces formes : brodé illustré, teint, ou classique avec un foulard Hermès. Les tee-shirts deviennent des moyens de communication : on y voit inscrit des slogans ou des fantasmes de super-héros, on y trouve aussi ses propres questions.

Durant cette décennie, le rôle des femmes est prépondérant et le militantisme collectif prend un essor nouveau. Dans le cadre
d'une mode de plus en plus unisexe,les ventes de robes et de jupes diminuent au profit d'un pantalon spécifiquement coupé pour les femmes. Le pantalon se porte avec une tunique, une veste, ou d'autres hauts permettant à toutes les femmes de porter le type de pantalon qui leur convient.... Le pantalon sera aussi raccourci et donnera un effet remarqué avec les manteaux maxi. La première tentative de collection unisexe date de 1970. On la doit à Jacques Esterel qui crée aussi bien des ensembles pantalons que des robes chemises pour hommes.

Par ailleurs, la fin de la décennie est marquée par un retour au réalisme, exprimé par une esthétique franche. Le mouvement punk en est une illustration frappante en utilisant des objets détournés et en siglant ses vêtements d'insignes politiques provocateurs. Provoquer en bravant les tabous devient un leit-motiv vestimentaire.

Ainsi s'opposent deux visions dans la mode comme en art : le retour à la nature, à l'artisanat et au romantisme face à la dénonciation d'une réalité des plus crues. Ces nouvelles formes de beauté créent des perceptions esthétiques différentes et marquent les divergences de conceptions de la société. De manière concomitante, alors que la rue innove dans tous les sens, la profession de l'Habillement s'organise et crée de nouvelle structures institutionnelles encadrant les nouveaux talents de mode.

 

 

III - UNE NOUVELLE ORGANISATION INSTITUTIONNELLE ET COMMERCIALE DU SECTEUR

 

Les années 70-80 sont celles de l'organisation des créateurs, des besoins de signer leur création sous leur propre griffe et de trouver des partenaires industriels prêts à aider et soutenir de jeunes talents qui offrent alors à la mode une très large diversité de produits dans des styles de plus en plus différents. De nouveaux noms apparaissent comme Jean Charles de Castelbajac, Issey Miyake, Kenzo, Karl Lagerfeld. Tous ont travaillé dans des maisons de couture et décident de monter leur propre marque. Pour le grand public, les stylistes vont enfin être reconnus en proposant des produits sous leur propre marque.

La structure "créateurs et industriels" accueille Issey Miyake, Christiane Bailly, Jean-Charles de Castelbajac qui créent des vêtements dans un style dépouillé et confortable pour permettre la fabrication en série par des industriels comme Mendès ou Weill.

Par ailleurs, en
1971, la profession de styliste est reconnue officiellement. Le 17 décembre de cette année, le Journal Officiel en donne une définition. En 1973, est crée la Fédération Française de la Couture, du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode. En 1976, le "Dé d'Or" de la Haute Couture Française voit le jour. Il récompense le créateur de la meilleure collection de la saison. Il s'appelle depuis 1993 "Dé D'Or Européen de la Mode". En 1977 est créé l'IAF : International Apparel Federation

INTERVIEW DE LINDA LOPPA

LINDA LOPPA

Directrice de la section "Mode" de l'Académie des Beaux Arts d'Anvers

Quelles sont selon vous les sources d'inspiration des jeunes créateurs belges?

Leurs sources d'inspiration sont la rue, le cinéma, la musique, les actrices et les acteurs de cinéma, la littérature, l'actualité, l'histoire de l'art, l'histoire de la mode, les peuples du monde entier, les artistes, etc...

Quelles sont les matières privilégiées par la nouvelle génération de créateurs?

Les matières sont très diverses : cela va des matières très classiques à des matières non tissées, très brutes.

Quelle est la place de la Belgique dans la mode?

Je trouve que les jeunes créateurs belges sont assez proches des créateurs anglais. Quant à l'Académie, elle pourrait devenir le centre de la création européenne en matière de mode. Paris, Londres ou Milan resteront les villes des défilés de prestige et le glamour de la mode continuera de régner.

Suivant les travaux que vous proposent les étudiants actuels, comment imaginez-vous la mode de demain...?

L'année 2000 et la fin de siècle pèsent sur les jeunes, ils trouvent que le monde politisé est corrompu. Les jeunes sont stimulés par ce monde décalé et ils crachent leurs idées. Cela les rend plus créatifs que jamais.

Très proches de la jeunesse, ces créateurs indiquent qu'on ne peut plus classer la mode en vulgaire ou distingué, que la mode est, tout simplement.
Les mouvements de mode n'ont eu de cesse de suivre les mouvements sociaux:
1947, retour à la paix, désir d'opulence et éclatement du New Look; années 60: les jeunes du "baby boom" se vêtissent, les juniors font la loi, on s'immerge du Jean's, des vêtements de la US Navy; années 70, une nouvelle race de créateurs.
Mais ces mouvements de mode n'auraient pas perduré s'ils n'avaient pris ancrage dans les réalités économiques de l'époque: années 50, le Prêt-à-Porter se développe à l'instar de l'industrie qui se révolutionne. Il est moins coûteux de fabriquer en série que sur-mesure; années 60, les prix chutent avec l'utilisation de matières synthétiques, plus abordables que des fibres naturelles; années 70, la concurrence est rude, la couture se doit d'imposer sa griffe pour survivre, c'est l'ère de la création personnalisée, les modèles sont "le reflet de la vision intérieure du créateur sur le monde".
L'influence des couturiers japonais est considérable: le vêtement occidental restreint l'espace entre le corps et le tissu. Il est cousu toujours très près du corps, alors que dans le costume japonais, le phénomène est inverse: l'ampleur du tissu est capitale.